- ITALIE - Les élections de 1994
- ITALIE - Les élections de 1994Italie: le séisme électoral de 1994Des élections législatives ont eu lieu en Italie les 27 et 28 mars 1994, soit moins de deux ans après celles d’avril 1992. Ce scrutin anticipé s’expliquait par le bouleversement complet intervenu entre-temps dans la vie politique. La révélation, par l’opération Mani pulite (“mains propres”), de la corruption généralisée chez les dirigeants des milieux politiques et économiques, la modification de la loi électorale grâce au référendum du 18 avril 1992 et l’effondrement des partis au pouvoir lors des élections municipales de 1993 ont rendu cette consultation inéluctable. Le 13 janvier 1994, Carlo Azeglio Ciampi a remis la démission de son gouvernement au président de la République, Oscar Luigi Scalfaro, qui a dissous le Parlement le 16 janvier.Une loi électorale florentineLa nouvelle loi électorale votée en août 1993 par la Chambre des députés et le Sénat constitue un compromis complexe entre le profond besoin de changement du pays et les intérêts des anciens partis politiques en place. Désormais, 75 p. 100 des six cent trente députés et des trois cent quinze sénateurs seront choisis au scrutin majoritaire à un tour, 25 p. 100 des sièges étant toujours attribués à la proportionnelle sur des listes présentées par les formations politiques. Concernant la répartition de ce quart des sièges restant, la loi est différente pour les deux Assemblées: si seuls les partis obtenant 4 p. 100 des suffrages nationaux peuvent être représentés à la Chambre, aucun seuil n’est imposé pour l’élection au Sénat.Le nouveau système électoral oblige les forces politiques à former des coalitions. À gauche, Achille Occhetto, secrétaire du Parti démocratique de la gauche (P.D.S.), l’ancien Parti communiste, parvient dès janvier 1994 à rassembler sous la bannière commune des progressistes des formations très différentes: le P.D.S., les extrémistes de la Refondation communiste, les dissidents libéraux et républicains de l’Alliance démocratique, les socialistes, les Verts et la Rete (gauche catholique antimafia) de Léoluca Orlando, ancien maire démocrate-chrétien de Palerme.À droite, Silvio Berlusconi réussit le tour de force de réunir sous l’appellation de Pôle de la liberté et du bon gouvernement des partis politiques que presque tout oppose: la Ligue du Nord, favorable à une Italie fédérale et hostile au Mezzogiorno, l’Alliance nationale, formée essentiellement par le M.S.I., néo-fasciste, centralisatrice et surtout implantée dans le Sud, et Forza Italia, mouvement créé de toutes pièces en deux mois par l’homme d’affaires italien avec l’aide des employés de ses nombreuses firmes. Si le Cavaliere fait irruption sur la scène politique dès janvier 1994, c’est par crainte d’une victoire de la gauche aux élections législatives, après son succès aux municipales de 1993, qui serait lourde de menaces pour son empire télévisuel.Au contraire, le centre, déjà très affaibli, se divise. Toujours en janvier 1994, à la suite de ses déroutes électorales de 1993, la Démocratie chrétienne (D.C.) décide de prendre le nom de Parti populaire italien (P.P.I.), mais son secrétaire général, Mino Martinazzoli, refuse toute alliance à gauche ou à droite. Immédiatement, l’aile droite de la Démocratie chrétienne et les importantes fédérations méridionales du parti fondent le Centre chrétien-démocrate qui rallie le Pôle de la liberté. De son côté, le Pacte Segni, mouvement créé par cet ancien député démocrate-chrétien à l’origine du référendum d’avril 1993, finit par conclure un accord avec le Parti populaire et le Parti républicain: le Pacte pour l’Italie.La préparation du scrutin de mars 1994 entraîne un très large renouvellement du personnel politique: déconsidérés par la corruption, la plupart des ténors des anciens partis sont exclus de la compétition et 80 p. 100 des candidats n’ont jamais siégé au Parlement. Le ton de la campagne électorale est très dur. Tandis que Silvio Berlusconi dénonce violemment le danger d’une gauche “communiste étatiste”, ses adversaires l’attaquent avec virulence en exploitant l’inculpation de son frère Paolo, accusé d’avoir versé des pots-de-vin.La victoire de Silvio BerlusconiEn dépassant la majorité absolue à la Chambre des députés (366 sièges sur 630) et en la frôlant au Sénat (155 élus sur 315), le Pôle de la liberté remporte la victoire les 27 et 28 mars 1994. Alors que Forza Italia devient le premier parti italien avec 21 p. 100 des voix, les votes pour l’Alliance nationale (13,5 p. 100) sont presque trois fois plus nombreux qu’en 1992 (5,4 p. 100), la Ligue du Nord subissant un léger recul (8,4 p. 100 des suffrages, contre 8,6 p. 100 en 1992). La coalition des droites domine dans le Nord, dans le Latium et dans trois régions du Sud (Pouilles, Sardaigne et Sicile).Plusieurs raisons expliquent le succès électoral de Silvio Berlusconi. D’abord, pour beaucoup d’Italiens, cet ami du socialiste Bettino Craxi, qui l’aida à asseoir son emprise sur les télévisions privées lorsqu’il était au pouvoir, représente pourtant le seul dirigeant dépourvu de passé politique et symbolise la réussite dans tous les domaines, des affaires au sport. De plus, le Cavaliere a su séduire une opinion publique lassée par la corruption de l’État en défendant un programme libéral souvent démagogique: diminution des impôts et des dépenses publiques, création d’un million et demi d’emplois en deux ans, allégement des contrôles bureaucratiques sur les petites et moyennes entreprises et lutte contre la mafia dans le Mezzogiorno.Grâce à des moyens financiers très importants, ces thèmes ont été répétés sans relâche dans de brefs messages publicitaires diffusés sur ses trois chaînes de télévision, où Silvio Berlusconi apparaissait perpétuellement souriant entre deux avions. Ces slogans ont eu un grand impact sur la population, particulièrement sur les électeurs les moins informés ou désemparés par le chômage.La défaite de la gauche est due à la progression insuffisante du P.D.S. (20,4 p. 100 des suffrages) et de la Refondation communiste (6 p. 100) depuis les élections législatives d’avril 1992, où ces deux formations avaient respectivement recueilli 16,1 p. 100 et 5,6 p. 100 des voix. Cet échec est aussi la conséquence des très mauvais résultats des socialistes et de la faiblesse des petits partis alliés au P.D.S. (les Verts, la Rete et l’Alliance démocratique): aucune de ces formations n’a atteint le seuil de 4 p. 100 des votes nécessaires pour bénéficier de la répartition du quart des sièges attribués à la proportionnelle à la Chambre des députés.Mais les progressistes ont maintenu leur prépondérance en Italie du Centre (Émilie-Romagne, Toscane, Marches et Ombrie) et l’ont emporté dans le Sud (Abruzzes, Campanie, Basilicate et Calabre). Deux facteurs peuvent expliquer la surprenante victoire de la gauche en Calabre, fief de la ndrangheta, branche régionale de la mafia et de la Démocratie chrétienne. D’une part, la peur des nordistes de la Ligue, alliée de Silvio Berlusconi, a gêné le transfert des voix démocrates-chrétiennes sur le Pôle de la liberté. D’autre part, la force des anciens communistes repose aussi ici sur le clientélisme, c’est-à-dire sur les avantages que le P.D.S. assure à ses électeurs.La débâcle est presque complète pour les partis du centre, et d’abord pour le Parti populaire, qui obtient seulement 11,1 p. 100 des voix, contre 29,7 p. 100 recueillis par la Démocratie chrétienne en 1992: le P.P.I. a souffert d’être l’héritier de cette formation et de la concurrence du Centre chrétien-démocrate, qui a rallié le Pôle de la liberté. De son côté, le Pacte Segni n’a été crédité que de 4,6 p. 100 des suffrages. Enfin, le Parti républicain et le Parti libéral, qui avaient partagé le pouvoir avec la Démocratie chrétienne pendant des années, ne sont pas parvenus à conserver un seul siège à la Chambre des députés.Des ministres néo-fascistes au gouvernementDès le lendemain des élections, les négociations entre les trois “alliés ennemis” du Pôle de la liberté pour la formation du gouvernement ont été très difficiles, surtout à cause d’Umberto Bossi, principal dirigeant de la Ligue du Nord, qui veut transformer l’Italie en un État fédéral. Ces divergences n’ont pas empêché, le 16 avril, l’élection d’Irene Pevetti, membre de la Ligue, à la présidence de la Chambre des députés et de Carlo Scognamilio, représentant de Forza Italia, à la présidence du Sénat. Mais c’est seulement le 10 mai que le gouvernement a été constitué par Silvio Berlusconi, qui devint alors président du Conseil. Après avoir obtenu, à une voix près, la confiance du Sénat le 18 mai, le cabinet a été investi par la Chambre des députés le 20 mai.L’attribution de cinq ministères à des représentants de l’Alliance nationale néo-fasciste a immédiatement soulevé une vive émotion en Italie et à l’étranger. Car on peut douter de la transformation de l’Alliance nationale en un parti moderne, comprenant une grande majorité de modérés, opposés à une minorité de nostalgiques du fascisme. En effet, pour son dirigeant, Gianfranco Fini, “Mussolini a été le plus grand chef d’État de ce siècle, et Silvio Berlusconi devra pédaler pour démontrer qu’il appartient comme lui à l’histoire”. Le chef de l’Alliance nationale estime aussi qu’“il faut en finir avec le préjugé antifasciste, qui a servi de légitimation au vieux Parti communiste”. Comme lui, ses adeptes remettent en cause les bases mêmes de la Ire République, fondée en 1946 par les partis — de l’extrême gauche au centre droit — ayant lutté contre Mussolini.C’est pourquoi des centaines de milliers d’Italiens sont descendus dans la rue à Milan, le 25 avril, pour commémorer la chute du fascisme.Le lendemain, le président de la République chargeait Silvio Berlusconi de former le gouvernement, où l’entrée de ministres néo-fascistes devait donner une légitimité à l’Alliance nationale. Pourtant, cette formation politique compte dans ses rangs des extrémistes, nettement majoritaires parmi les jeunes: 92 p. 100 d’entre eux n’admettent pas les institutions républicaines, et 88 p. 100 estiment que le fascisme constitue toujours une référence. C’est aussi l’idéologie des jeunes aux crânes rasés responsables des violences contre les immigrés dans plusieurs villes du pays. Même s’ils n’appartiennent pas à l’Alliance nationale et si Gianfranco Fini a condamné leurs actes, il s’agit là d’un phénomène très inquiétant, favorisé par leur ignorance totale du passé, et en particulier de l’époque du Duce: en effet, en Italie, l’enseignement de l’histoire à l’école s’arrête en 1918.Les résultats des élections européennes du 12 juin 1994, au scrutin proportionnel, ont confirmé et amplifié le séisme politique provoqué par les élections législatives. Forza Italia a recueilli 30,6 p. 100 des voix, soit presque 10 p. 100 de plus qu’en mars, et l’a emporté dans quinze régions sur vingt. Le parti de Silvio Berlusconi a même triomphé à Milan, fief de la Ligue du Nord, qui a dû se contenter de 6,6 p. 100 des suffrages, au lieu de 8,4 p. 100 en mars. Malgré ses efforts pour se démarquer du Cavaliere, Umberto Bossi n’est pas parvenu à empêcher son allié de débaucher ses électeurs du Nord.En revanche, le troisième partenaire de la coalition des droites, l’Alliance nationale, a tenu bon en conservant 12,5 p. 100 des voix, soit 1 p. 100 de moins qu’au scrutin législatif. Mais, si les néo-fascistes ont dominé à Rome, ils ont été supplantés par Forza Italia à Naples, où Alessandra Mussolini, petite-fille du dictateur, s’était imposée en mars.À cause du recul du P.D.S., tombé à 19,1 p. 100 des voix, contre 20,3 p. 100 aux élections législatives, et de la déroute des socialistes et des républicains, la gauche a connu une nouvelle défaite au scrutin européen. Avec respectivement 6,1 p. 100 et 3,2 p. 100 des suffrages, seuls les marxistes orthodoxes de la Refondation communiste et les Verts ont progressé depuis mars. Au contraire, les centristes ont perdu une partie des voix acquises au début du printemps: le Parti populaire est passé de 11,1 p. 100 à 10 p. 100, et le Pacte Segni de 4,6 p. 100 à 3,3 p. 100.Tirant les conclusions de ce deuxième échec en moins de trois mois, Achille Occhetto a démissionné du secrétariat du P.D.S. Après avoir transformé l’ancien Parti communiste en Parti démocratique de la gauche en 1991, il n’a pu le rénover rapidement et contrer ainsi l’offensive éclair de Silvio Berlusconi sur la scène politique italienne. Le 1er juillet 1994, Massimo D’Alema, qui fut longtemps son second, a été élu pour lui succéder.Un gouvernement fragileMalgré ses succès électoraux, la position de la coalition au pouvoir restait vulnérable, surtout à cause du jeu de la Ligue, qui, des trois alliés de droite, disposait du plus grand nombre de députés à la Chambre. Umberto Bossi n’a cessé d’attaquer Silvio Berlusconi en demandant la limitation du cumul de ses pouvoirs à la tête du gouvernement et de son groupe de la Fininvest. Mais, afin d’éviter de nouvelles élections législatives, qui auraient uniquement profité à Forza Italia, le principal dirigeant de la Ligue du Nord a su ne pas aller trop loin.Cette confusion permanente entre les activités politiques et les intérêts privés de Silvio Berlusconi demeurait l’un des plus grands obstacles à un “bon gouvernement” du pays. Le phénomène concernait surtout la télévision: déjà propriétaire de trois chaînes télévisées, le Cavaliere a commencé à mettre au pas la télévision publique, la R.A.I., en y plaçant des hommes sûrs et en diminuant son budget.En même temps, la justice enquêtait sur les irrégularités dans la gestion de Telepiù, chaîne payante où la Fininvest, le groupe du président du Conseil, posséderait plus de 10 p. 100 des parts et violerait ainsi la loi. C’est pourquoi, à l’automne de 1994, Silvio Berlusconi s’est trouvé en conflit ouvert avec les magistrats de l’opération Mani pulite. Dès le 14 juillet, il avait tenté de les neutraliser par un décret-loi restreignant la détention préventive pour les délits de corruption, mais, devant la résistance des magistrats, il dut le retirer le 19 juillet. Le 23, le juge Antonio Di Pietro délivrait des mandats d’arrêt visant des dirigeants de la Fininvest ayant versé des pots-de-vin, dont Paolo Berlusconi, le frère du Cavaliere.Soucieux d’éviter un fléchissement de l’activité économique que risquait d’entraîner la poursuite de l’enquête Mani pulite, le juge Di Pietro a proposé au début de septembre une solution pour y mettre un terme: en échange de leurs aveux et de la restitution de l’argent détourné, les responsables des délits bénéficieraient de remises de peine ou de l’impunité, mais des sanctions beaucoup plus dures frapperaient à l’avenir les personnes coupables de corruption. Si cette formule n’a pas été acceptée, l’ensemble de la classe politique était d’accord pour clore l’opération Mani pulite et réprimer plus sévèrement les futures infractions.Malgré ce contexte politique agité, la situation économique est restée bonne et s’est même améliorée. Grâce à la suppression de l’indexation des salaires sur les prix intervenue en juillet 1992, l’inflation a encore diminué en 1994, pour atteindre 3,9 p. 100. Et les prix remarquablement compétitifs pratiqués par les entreprises italiennes ont permis une nouvelle hausse des excédents du commerce extérieur et des échanges courants.Mais le manque de stabilité politique a empêché l’application de réformes structurelles, indispensables pour parvenir à maîtriser l’énorme dette publique. En 1994, le déficit budgétaire, qui devait être limité à 8,7 p. 100 du P.I.B., a atteint 9,4 p. 100 du P.I.B., soit 154 000 milliards de lires. Face à la défiance des investisseurs étrangers, la Banque d’Italie a été obligée de défendre la lire: le 11 août, elle a porté le taux d’escompte, déjà élevé, de 7 à 7,5 p. 100.C’est pourquoi, le 28 septembre, le projet de loi de finances, présenté par Silvio Berlusconi pour 1995, prévoyait de réduire le déficit de 50 000 milliards de lires. Comme les économies touchaient surtout les retraites et les dépenses de santé, les syndicats s’y sont vivement opposés. Pour protester contre ces mesures, ils ont appelé pour le 14 octobre à une grève générale, qui a été largement suivie et s’est accompagnée de défilés de plus de trois millions de personnes dans les villes du pays. Le président du Conseil, qui ne voulait pas modifier le montant global des sacrifices décidés, envisagea cependant d’accepter de les répartir autrement, rendant ainsi possible une négociation avec les organisations syndicales.L’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi et de ses alliés du Pôle de la liberté ne peut vraiment se comprendre qu’en la rattachant à l’histoire de l’Italie de 1945 à 1989. Pendant toute cette période, la péninsule a été l’un des pays occidentaux les plus marqués par la division du monde en deux blocs antagonistes: la Démocratie chrétienne y représentait un bouclier contre le Parti communiste. La disparition des régimes communistes en Europe de l’Est a mis fin à ce système politique bloqué et a rendu possible l’alternance. Mais la désagrégation très rapide de l’“ancien régime” et le populisme de la coalition au pouvoir bloquent une telle évolution.Depuis lors, la démission de Silvio Berlusconi, intervenue le 22 décembre 1994 et surtout due à la défection de la Ligue du Nord, modifie les perspectives.
Encyclopédie Universelle. 2012.